Votre question fait référence à une étude récente publiée dans ESC Heart Failure qui a fait grand bruit dans la presse grand public et médicale. Selon cette étude, la prise d’aspirine augmenterait le risque d’insuffisance cardiaque, ce qui serait problématique puisque de très nombreuses personnes présentant un risque cardiovasculaire élevé prennent de petites doses d’aspirine pour ses propriétés anticoagulantes.
Pour dire les choses sans détours, cette étude est de très mauvaise qualité méthodologique. Certains cardiologues se sont même demandé comment elle avait pu être publiée en l’état. En effet, il s’agit d’abord d’une étude observationnelle (sans groupe contrôle randomisé, sans placebo). Or pour affirmer l’effet d’un médicament, ces deux conditions sont indispensables.
De plus, de l’aveu même des auteurs de l’article : « Nous disposions d'informations sur la consommation d'aspirine et d'autres médicaments au moment de l'inclusion dans l’étude, mais nous n'avons pas pu analyser la prise de médicaments en tant que covariable dépendant du temps. » Cela signifie que, pendant les 5 années de l’étude, ces auteurs n’ont jamais vérifié que les patients qui prenaient de l’aspirine au début de l’étude continuaient à le faire régulièrement. Or on sait que de nombreux patients ne la prennent pas régulièrement, voire l’arrêtent. D’ailleurs les auteurs précisent : « Nous ne disposons d'aucune information sur l'adhésion aux médicaments prescrits. »
Ensuite, les auteurs précisent : « En raison des informations dichotomiques sur la consommation d'aspirine, nous n'avons pas pu évaluer l'effet de la dose. » En d’autres termes, leur seule information sur la consommation d’aspirine était de savoir si le patient en prenait au début de l’étude, mais sans savoir la dose prise, ni au début, ni pendant l’étude !
Pour finir, les auteurs reconnaissent : « Nous manquions de données (…) pour mieux caractériser les incidents d'insuffisance cardiaque (…) et nous manquions de données pour distinguer l'insuffisance cardiaque ischémique (infarctus) et non ischémique. » En bref, ils ont considéré comme insuffisance cardiaque des événements qui n’en étaient peut-être pas vraiment…
En conclusion, cette étude est de trop mauvaise qualité pour pouvoir être prise au sérieux. Rappelons que de nombreuses études, bien conçues, ont montré l’intérêt de l’aspirine à faible dose pour prévenir les rechutes chez les personnes qui ont souffert de problèmes cardiaques, ainsi que pour prévenir ces problèmes chez les personnes qui sont à haut risque d’en développer.
Sources
L’étude publiée dans ESC Heart Failure, 22 novembre 2021
Les recommandations officielles sur la prescription d’aspirine à faible dose, juin 2012
Attention
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